Apurva Srihari : “Il faut que le biodégradable devienne une généralité.”
Étudiante en design textile, elle partage avec nous son engagement pour l’environnement et sa vision du futur de l’industrie textile. Et si on commençait à planter nos vêtements ?
Pourquoi as-tu choisi la voie du design textile ?
J’ai fait une licence de design textile au NIFT (National Institue of Fashion Technology) en Inde. J’ai choisi cette voie pour 2 raisons. Ma mère m’a plongée dès ma petite enfance dans le monde artistique, avec ses multitudes de couleurs et textures. C’est une véritable inspiration pour moi. Mon père, quant à lui, est un scientifique. J’ai donc choisi d’allier les deux, science et art, ce qui est pour moi la définition du design. Après 4 ans d’études, je voulais découvrir et étudier d’autres domaines du design textile. C’est pourquoi j’ai décidé d’intégrer le Master en Design Textile de Chelsea Collège of Art, à Londres.
D’où te vient cette passion pour le textile durable ?
Dans le programme de ma licence, il y avait plusieurs cours théoriques traitant de ce thème. J’avais une sorte d’idée générale sur le concept de durabilité, mais je ne pensais pas l’introduire dans mes stratégies de design. À Londres, j’ai saisi l’opportunité de clarifier le sens concret de design durable. J’ai vu que de nombreux et nombreuses étudiant·es et des professeur·es travaillaient avec des matériaux alternatifs comme du ciment ou du plastique, afin de dénoncer l’état actuel de notre environnement et de notre société. C’est ce qui a généré en moi l’envie de travailler sur le design durable. J’ai alors commencé des recherches approfondies sur les stratégies de design durable déjà existantes. C’est ainsi que je me suis retrouvée à travailler avec des graines, et que mon projet est né.
Peux-tu nous dire quelques mots sur ton projet Seed fabric : the eternel value of an ephemeral cloth, (tissu de graines : la valeur éternelle d’un tissu éphémère) ?
Je travaille actuellement avec des graines et des textiles, ce que j’appelle “Seed Fabric “(tissu de graines). J’expérimente différentes intégrations de graines dans des textiles. J’étudie les résultats et leurs possibles applications. À l’origine, je suis partie de l’élaboration d’un motif, afin de créer un tissu. Une fois usé, le tissu pourrait être enterré, et ainsi on obtiendrait des herbes ou plantes en fonction des graines utilisées. L’objectif est de débattre, d’améliorer la connexion entre l’homme et la nature, peu considérée, à travers le textile.
Quelle est l’utilisation que tu préconises de ces Seed fabric ?
Je développe actuellement 2 concepts différents. Le premier tissu peut être planté après utilisation. Le deuxième consiste à faire pousser des plantes à même le textile, pendant son utilisation, en tant que décoration par exemple, ce qui fait partie d’une esthétique, d’une architecture ou d’un toit végétal. Le principal problème auquel je dois faire face, c’est la durée de vie de mes graines. Le temps de germe et la manière dont est traité le tissu sont autant de facteurs qui vont influencer le nombre de graines qui pourront être cultivées. Si les graines sont tissées de manière sécurisée, le textile aura une durée de vie de 4 à 6 mois. Plus la durée de vie d’une graine est longue, plus le tissu vivra longtemps. Aussi, j’utilise de la laine, qui est un tissu biodégradable très intéressant, avec des propriétés propres qui maintiennent naturellement la qualité du tissu.
L’utiliser pour des vêtements est impensable. Cela impliquerait beaucoup de lavages, empêcherait les graines de germer ou les enlèverait du tissu. Je privilégierai plutôt d’en faire des sacs de courses par exemple, ce qui permettrait d’interagir avec le consommateur directement.
As-tu déjà testé certains textiles que tu as créés ?
Oui, j’ai établi un atelier au sein de mes camarades de promo en leur confiant mes échantillons déjà tissés. Ils ont essayé de les faire pousser, sur une période de 2 semaines. Sur tous les échantillons, environ 80% d’entre eux ont réussi. Je suis ravie de ces résultats. À la suite des tests, j’ai voulu trouver une solution pour intégrer les graines sans faire de filage, une technique difficile qui demande beaucoup de temps. Il faut mettre des graines en grande quantité puisqu’elles ne vont pas toutes germer. Je me suis rendu compte que sur 100 graines, seulement 10 vont pousser. J’obtiens un ratio de 10%, sans même que le tissu ne soit utilisé. C’est évidemment un problème.
En ce moment, je travaille donc sur le deuxième concept que j’ai élaboré : faire pousser des plantes pendant l’utilisation du textile. Je manie des graines d’herbe, qui poussent facilement et donnent une pelouse luxuriante. La texture recherchée est très agréable au touché et contribue à améliorer notre bien-être. Le principal retour que j’ai eu de mes camarades, c’est à quel point l’expérience a été amusante et stimulante, liée au fait de découvrir l’évolution de la plante au fil des jours. C’est ce que je recherche. Je veux amener les gens à toucher, ressentir, être satisfait de donner une seconde vie à son tissu. Les plantes ont cette faculté d’améliorer le bien-être et la santé mentale. C’est ce que je veux apporter en inscrivant mon projet dans une utilisation quotidienne.
Quelle est ta relation avec l’environnement et l’écologie ?
En tant que designer, et en tant qu’humaine, je veux croire que tout ce que je crée doit avoir un impact positif à la fois sur les hommes et la nature. Je cherche cet équilibre entre l’activité humaine et ce que la nature nous donne. C’est évident que nous consommons énormément, et c’est difficile de s’en empêcher. Tellement de vêtements, de tissus, de textiles sont accumulés et jetés. Alors pourquoi ne pas les empiler chez soi, et faire naître des plantes de ce qui est considéré trop rapidement comme un déchet ? On peut améliorer son intérieur et aider la nature. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’utilise de la laine. La laine est une source importante de nitrogène, qui retourne alors à la terre et la nourrit. Je considère que ça permet de fermer le cycle de la vie. Il faut que le biodégradable devienne une généralité.
Quelle est ta vision sur le futur de l’industrie textile ?
Je pense qu’il y aura définitivement beaucoup de textiles qui permettront de sensibiliser le grand public sur le développement durable, qu’il ne faut rien jeter et que tout doit être utilisé durablement. Ça commencera par un choix plus vaste de textiles durables et moins chers. Je suis heureuse de faire partie cette nouvelle vague de designers, parce que nous avons la responsabilité d’agir. Nous sommes la génération qui a le devoir de créer des alternatives et guide le monde vers un futur plus sûr. J’aimerais que le développement durable devienne la nouvelle norme.
Pour découvrir son travail sur Instagram.
Propos recueillis par Célia Taunay
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